Dans une série de décisions récentes, des tribunaux québécois ont empêché des propriétaires de mettre fin à des baux commerciaux et/ou ont réduit le loyer payable pendant les périodes où les locataires étaient tenus de fermer en raison de la COVID-19, particulièrement dans les cas où les propriétaires ne s’étaient pas inscrits au programme de l’Aide d’urgence du Canada pour le loyer commercial (AUCLC).

En Ontario1, des mesures similaires ont été temporairement adoptées sous forme de lois afin d’empêcher les propriétaires de résilier des baux ou d’exercer des droits de saisie s’ils sont ou seraient par ailleurs admissibles à l’AUCLC; cependant, ces mesures ne libèrent pas les locataires de leur obligation de payer le loyer ni ne donnent aux locataires le droit de payer un loyer réduit2. L’expiration de ces mesures pourrait donner lieu à un afflux de différends entre propriétaires et locataires et mettre au défi les tribunaux d’appliquer des principes de common law existants à des situations inusitées.

Décisions des tribunaux

Les tribunaux du Québec ont commencé à empêcher temporairement les propriétaires de mettre fin aux baux commerciaux en raison de défauts de paiement du loyer découlant de la fermeture forcée des établissements de vente au détail causée par la COVID-19. Dans la majorité de ces décisions, les tribunaux ont accordé aux locataires une injonction provisoire dans l’attente de la décision sur le fond. Dans d’autres cas, les locataires ont obtenu gain de cause lors du procès et ont été libérés de l’obligation de payer le loyer pendant les périodes de fermeture forcée en raison, notamment, de l’incapacité du propriétaire à procurer la jouissance paisible des lieux pour leur utilisation prévue ou du fait que le locataire a repris le paiement du loyer intégral après les fermetures forcées.

Il est peu probable que les tribunaux à l’extérieur du Québec s’en remettent aux mêmes principes dans le cadre de différends touchant les baux liés à la pandémie. Toutefois, les décisions examinées dans les débuts de la pandémie indiquent une volonté chez les tribunaux d’utiliser leur pouvoir pour protéger les locataires touchés par les répercussions de la COVID-19, et ce, plus particulièrement dans les situations où les propriétaires ne tirent pas parti de l’AUCLC ou d’autres initiatives gouvernementales visant à atténuer les conséquences de la pandémie. Ainsi, les locataires commerciaux à l’extérieur du Québec pourraient être en mesure d’obtenir des résultats semblables au moyen d’injonctions interlocutoires et/ou d’une exonération de la déchéance.

Injonctions interlocutoires

Une injonction interlocutoire est une mesure de redressement temporaire accordée par les tribunaux pour empêcher une partie de poser certains actes. Au Québec, les tribunaux ont utilisé cette mesure pour empêcher des propriétaires de mettre fin à des baux dans des situations où la pandémie avait causé la fermeture forcée d’établissements de vente au détail. Pour obtenir une telle mesure, le locataire doit établir que sa demande repose à tout le moins sur une apparence de fondement, qu’il subira un préjudice qui ne peut être corrigé par une compensation pécuniaire (comme la perte de son entreprise ou de sa clientèle) et que le préjudice qu’il pourrait subir si l’injonction n’était pas accordée est plus grave que le préjudice encouru par le propriétaire.

Les critères pour délivrer une injonction interlocutoire sont essentiellement les mêmes partout au Canada, ce qui laisse croire que des décisions similaires pourraient être rendues au stade des mesures provisoires, particulièrement lorsqu’un propriétaire est admissible à l’AUCLC mais a refusé de soumettre une demande. Cette mesure est susceptible de constituer le premier recours d’un locataire commercial si un propriétaire cherche à mettre fin à un bail lorsque les protections prévues par la loi ne s’appliquent plus.

Exonération de la déchéance

Un tribunal peut accorder une injonction interlocutoire à un locataire dans l’attente ou dans le cadre de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’accorder l’exonération d’une déchéance, une mesure de redressement qui est offerte aux locataires commerciaux en Ontario, en Colombie-Britannique et en Alberta et qui accorde aux tribunaux le pouvoir de rétablir la tenance à bail selon leur bon jugement. Au moins une décision publiée en Ontario a déjà envisagé cette mesure à la lumière de la COVID-19 et aurait rétabli la tenance à bail3.

En règle générale, les tribunaux examinent quatre critères lorsque le défaut allégué du locataire est le non-paiement du loyer, notamment la question de savoir si :

  • le locataire a agi honnêtement et de bonne foi;
  • le locataire a purement et simplement refusé de payer le loyer;
  • le propriétaire a subi une perte grave découlant du retard de paiement du loyer; et
  • les arriérés de paiement du loyer étaient élevés.

La décision récente de l’Ontario dans l’affaire Second Cup signale une volonté de se pencher sur les défauts liés au loyer dans le cadre de la pandémie. Dans cette affaire, les arriérés de paiement du loyer du locataire s’élevaient à 25,5 % du loyer, ce qui était considéré comme peu élevé à la lumière de la « [traduction] pandémie sans précédent qui a entraîné la fermeture de la plupart des établissements [du locataire] et de l’économie du pays ». Les locataires pourraient être en mesure de présenter des demandes semblables lorsque, selon le cas, ils demandent au propriétaire de renoncer à 25 % du loyer dans le cadre du programme de l’AUCLC ou lorsque le locataire ne peut effectuer que des paiements partiels. Le souhait manifeste d’un locataire que son propriétaire soumette une demande aux termes de l’AUCLC ou conclue une entente de réduction ou de report du loyer pendant la pandémie pourrait par conséquent jouer en sa faveur puisque de telles actions contredisent un refus pur et simple de payer le loyer.

Les tribunaux pourraient également tenir compte de certains autres facteurs, y compris la durée de la tenance à bail, les antécédents de défaut et la capacité du locataire de se conformer au bail. Lorsque des circonstances extraordinaires sont en jeu, ces facteurs peuvent militer davantage en faveur du locataire. Par exemple, la décision ontarienne portait sur un scénario unique où le locataire aurait perdu l’avantage de présenter une demande de licence de détaillant de cannabis pour les locaux et d’autres emplacements, ce qui était d’une importance capitale pour l’entreprise.

Incidence pratique

Les décisions publiées dans les débuts de la pandémie pourraient être un signe de ce qui nous attend dans la « nouvelle normalité ». Bien que les protections prévues par la loi en Ontario aient été prolongées jusqu’au 30 octobre 2020, les tribunaux se sont montrés disposés à produire des résultats semblables en l’absence de ces protections en appliquant des doctrines en equity. Cette tendance pourrait abaisser le niveau de certitude commerciale et d’aisance avec lequel les propriétaires exercent leurs recours relatifs aux baux en raison de défauts liés à la pandémie.

Bien que chaque situation doive être examinée individuellement, les propriétaires qui souhaitent exercer leurs droits et leurs recours aux termes d’un bail sont encouragés à obtenir des conseils juridiques, particulièrement dans des circonstances où ils étaient admissibles à l’AUCLC, mais n’ont pas présenté de demande ou s’ils estiment que des circonstances spéciales existent à l’égard de leurs locataires.

Un locataire menacé d’expulsion pour des défauts liés à la pandémie serait également bien avisé de consulter ses conseillers juridiques afin de déterminer l’éventail complet des droits et des recours à sa disposition. De plus, les locataires sont encouragés à tenir des dossiers détaillés des pertes subies qui sont liées à la COVID-19 et devraient communiquer activement avec leurs propriétaires pour ce qui est des options disponibles afin d’aider à atténuer les répercussions financières de la pandémie pour les deux parties.

Cette actualité juridique n’est présentée qu’à titre informatif et fait état du droit dans les provinces à l’extérieur du Québec. Pour plus de renseignements sur l’état du droit au Québec, veuillez consulter une actualité juridique préparée par notre bureau de Montréal, qui se trouve ici.

Les auteurs désirent remercier Amélye Paquette, stagiaire, et Jason McFarlane, étudiant, pour leur aide dans la préparation de cette actualité juridique. 


Notes

1   Les protections correspondantes en Alberta et en Colombie-Britannique ont expiré le 31 août 2020 et le 1er octobre 2020, respectivement, et n’ont pas été prolongées à l’heure actuelle.

3   The Second Cup Ltd. v 2410077 Ontario Ltd., 2020 ONSC 3684.



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